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Prélude

JEAN-PIERRE THIERCELIN
Articolo pubblicato nella sezione Il teatro, l’impegno e la memoria: esperienze europee.

Je ne retournerai pas au parc Montsouris de mon enfance retrouver le manège de chevaux de bois rapiécés. Les petits cavaliers armés de bâtonnets montaient à l’assaut des anneaux et la victoire était un tour gratuit. L’innocence ensoleillée ne m’appartient plus, elle éclaire aujourd’hui le noir et blanc de Ronis ou Doisneau.
Je ne retournerai pas au Guignol du Luxembourg. Le rire strident des enfants y déborde d’une joie trop forte. Son raz de marée pourrait bien m’emporter dans la poussière des souvenirs et les feuilles mortes d’une chanson.
Je ne retournerai pas danser au «Grand arbre» à Robinson. J’y ai trop tourné, les yeux dans les yeux dans un bonheur à trois temps au dessus du volcan. Le bonheur est resté prisonnier des sanglots de l’accordéon.
Je ne retournerai pas à la mairie de mon village où je faisais des faux papiers pour sauver des vies à la barbe des vert de gris. En cet âge des possibles, l’inconscience de la vie éclatait en poèmes sous la pression du risque et du danger. Aujourd’hui je relis Eluard et René Char.
Je ne traverserai plus la Loire en passeur clandestin. Je garde en ma besace les mots résistants de Raboliot et du grand cerf rouge traqué par la trompe et la meute des hommes.
Je ne retournerai pas au maquis de la forêt saccagée par l’oubli et l’inconscience humaine. Je ne garde que les livres et les mots de Gatti qui seuls pourront me lire.
Je ne retournerai pas à la gare ni au camp de Compiègne, mémorial d’opérette rongé d’immobilier. Mais chaque nuit je pars avec Desnos dans le train de nulle part.
Je ne retournerai pas au camp. Mes amis n’y sont plus et les pierres refusent à raison de dialoguer avec les tours opérators de la Mémoire. Je ne retournerai pas là-bas mais je retrouve ici dans les yeux fermés de mes nuits, avec Charlotte Delbo, l’éternelle amitié de mes spectres compagnons.
Je ne retournerai pas au shtetl de ma jeunesse. Ses rues sont vides, ses maisons dénaturées et la langue qu’on y parlait envolée. Je préfère écouter Singer me raconter mille et un contes dans mon Yiddish maternel et danser à perdre haleine au son du violon de Chagall.
Je ne retournerai pas dans les Carpates originelles. Elles ont changé de pays et le pays de mes parents n’existe plus. Je pars les retrouver dans les livres d’Appelfeld et la langue promise qu’il m’a fallu apprendre.
Je ne retournerai pas dans ma vieille Hongrie. On a volé nos traces et soufflé sur les braises qui font brûler les livres. Je reprends pour toujours, avec Fleisher le train de Sandor F, veillé par Kertesz et Tabori.
Je ne retournerai pas sur les fosses d’Ukraine. Là où l’oubli repousse plus vite que l’herbe. Je garde le bonheur et la vie d’avant la catastrophe et danse avec Gary et Cohn jusqu’à mourir de rire.
Je ne retournerai pas traîner mes guêtres dans le quartier du marais. Je ne lècherai pas les vitrines des boutiques de fringues bouffeuses de fantômes. Je préfère monter, avec Bober, au paradis du théâtre de Grumberg et rire de peur d’en pleurer, comme du temps où «ça» n’avait pas de nom.
Je ne retournerai pas à la Casbah ni à la rue Darwin. La rue a perdu son nom avec le bonheur d’être ensemble et les rêves de bonheur ont perdu la boussole. Mais je retrouve le nord pour mieux garder le sud dans les livres de Sensal et de KatebYacine.
Je ne retournerai pas sur les quais de la Seine qui ne rougit pas de honte au souvenir de certaines nuits d’octobre. Je suivrai Barbara qui a quitté l’Ecluse pour aller, loin de la Seine, chanter à Göttingen où il y a des gens que j’aime.
Mais je retournerai voir les enfants de la cité. Quand ils m’auront «gavé» de leurs mots, nous rejoindrons la roulotte de Sacha et de Zanko. Ensemble nous partirons au long des routes et des prés verts de Jacques suivis par nos amis étranges étrangers. Nous partagerons l’errance, la guitare et la parole. Et quand les enfants auront réinventé les mots, Gatti les accrochera aux arbres traversés de langages pour que le mot Mémoire soit un mot à venir.



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