cosmopolis rivista di filosofia e politica
Cosmopolis menu cosmopolis rivista di filosofia e teoria politica

Le retour de la race: un “cosmopolitisme inversé”?

Étienne Balibar
Entretien avec Thomas Casadei

Le “retour de la race”. À l’intérieur d’une intervention publique, lors du dernier Festival di Filosofia di Modena, le 15 septembre 2006, vous avez décrit de façon analytique en quel sens est-il possible de parler d’un “retour de la race” à l’intérieur du discours sociale. Pouvez vous nous expliquer quels sont les traits essentiels de ce retour, quelles les motivations et les implications à niveau culturel et, plus en particulier, politique?

J’ai parlé du “retour de la race” dans un double sens, objectif et subjectif. Je l’ai fait d’abord pour évoquer une recrudescence des manifestations de racisme dans nos sociétés et dans le monde qui nous entoure, et pour contribuer à ce que ses causes, ses formes spécifiques, ses effets et ses conséquences politiques fassent l’objet d’une discussion approfondie, traversant les frontières nationales et continentales. Ensuite pour désigner de nouveaux usages du nom même de race ou de ses substituts plus ou moins déclarés dans l’espace discursif planétaire: avec des intentions souvent opposées entre elles, mais de toute façon inattendues au regard du consensus régnant depuis quelques décennies déjà dans le monde savant, qui tendait à faire du racisme un phénomène régressif, et de la “race” un idéologème réfuté par la science et disqualifié par l’histoire.
Bien entendu les deux aspects ne sont pas indépendants l’un de l’autre. C’est parce que nous voulons croire que le racisme est essentiellement un héritage du passé – à quelque époque, plus ou moins reculée, et à quelque niveau, idéologique ou sociologique, que nous en localisions les origines – que nous hésitons à en identifier les formes nouvelles, les langages réactivés ou réinventés, ou que nous en minimisons la gravité (quand je dis “nous”, je pense bien entendu à des sociétés, des systèmes politiques dont chacun de nous est individuellement partie prenante). Nous sommes souvent prêts, l’expérience aidant, à admettre qu’il faudra encore “beaucoup de temps”, “beaucoup d’efforts”, pour nous débarrasser du racisme hérité des discriminations religieuses, nationales, coloniales, économiques et des “préjugés” pseudo-scientifiques de l’histoire naturelle et du darwinisme social. Mais nous le sommes beaucoup moins à admettre que le racisme ait un avenir, et même un “grand avenir”, au sens quantitatif et qualitatif. Et c’est parce que nous minimisons cette nouveauté (y compris lorsque, de façon automatique, nous nous servons de l’étiquette “raciste” envers telle ou telle force politique), que nous tardons à entreprendre le travail de critique épistémologique et d’analyse socio-culturelle appelée par la conjoncture tout à fait nouvelle dans laquelle sont entrés les système politiques du fait de la “mondialisation”, et dont font intégralement partie les nouvelles techniques de sélection humaine, individuelle ou collective, liées à la concurrence marchande généralisée, les “chocs de civilisation” et les représentations de l’altérité liées à de nouveaux partages stratégiques du monde, les divisions de l’espèce humaine en groupes “utiles” et “superflus”, “productifs” et “assistés”, etc.
Mais la façon dont nous percevons et décrivons l’état de choses ainsi désigné n’est pas indépendant de la façon dont nous comprenons la sémantique de la “race”, et particulièrement de la conscience que nous prenons ou non de son historicité et de sa plasticité. Les définitions biologiques ou anthropologiques qui ont été successivement accréditées par la “science” puis réfutées et disqualifiées par les institutions internationales jouent à cet égard un rôle ambigu. Elles dénotent un moment central dans l’histoire de la notion de race et dans son rapport à l’Etat, dont les déterminations sont très loin d’avoir purement et simplement disparu. Mais elles tendent à occulter le fait que la “race” vient de plus loin, s’est inscrite comme signifiant et comme concept dans diverses configurations discursives, et peut encore le faire autrement. Certaines constantes sémantiques sont observables (comme la perpsective “généalogique”, traduite ou non en termes d’hérédité, les schémas de sélection et d’élection différentielle au sein de l’espèce humaine, etc.) [1], mais ce sont des structures très générales, dont les référents historiques, culturels, théoriques, peuvent changer au point de devenir méconnaissables, et dont l’insertion dans des pratiques concrètes de discrimination ou de violence ne peut être déterminée a priori. Or c’est cela justement qui est le plus important et qu’il s’agit de mettre à l’étude.


Race et humanité. Il me semble qu’à la base de votre intervention soit possible retrouver la relation antithétique entre le concept d’humanité et la problématique de la race et du racisme: dans la ‘cosmopolis’ mondiale d’aujourd’hui existe-il, selon vous, une idée d’humanité qui soit possible partager? Ou le contexte mondial – comment semblent nous montrer certains procès en acte – est un contexte qui nous présente une sorte de “cosmopolitisme inversé”?

J’adopte volontiers cette notion de “cosmopolitisme inversé”, pour trois raisons complémentaires.
La première est que toute formation idéologique qu’on peut qualifier de “racisme” (et qui, par conséquent, implique une répartition et une hiérarchisation différentielle de groupes humains, de conditions ou de comportements dont certains sont érigés en modèles et d’autres stigmatisés et infériorisés) est solidaire d’une représentation du monde comme totalité et de la place que les êtres humains y occupent, les uns à côté des autres, ou plutôt les uns en face des autres. Ceci vaut aussi bien à un niveau intellectuel, théorique ou mythique, qu’au niveau des représentations quotidiennes, populaires, immanentes aux pratiques d’utilisation sociale des “ressources humaines”. C’est pourquoi, précisément, il y a un sens commun raciste, qui incorpore ces deux extrêmes, et qui ne cesse de trouver ses “vérifications” dans la pensée et dans la vie, naturalisant les identités en les incorporant à des structures de domination – car il y a, à l’évidence, des représentations de différences et d’identités qui sont revendiquées par les groupes humains eux-mêmes, dans ce que Niklas Luhmann appellerait un procès de Selbst-thematisierung ou d’auto-identification différentielle, et d’autres qui sont imposées, ascribed comme disent les Américains, à des groupes dominés, quitte à se voir éventuellement “retournées” contre la domination. Et parce qu’il y a un sens commun raciste qui construit un “monde” autour de la diversité et de l’inégalité humaines, la politique qui peut transformer ce sens commun et rétablir une égalité de principe entre les hommes ne peut viser à rien de moins qu’à construire une nouvelle conception du monde, ou à faire prévaloir dans la théorie et dans la pratique une conception du monde alternative.
On pourrait donc dire que d’une certaine façon toute formation raciste est déjà “en soi” la négation d’un cosmopolitisme, en prenant ce terme dans le sens qu’il a comporté depuis l’origine: celui d’une communauté possible, d’une réciprocité absolue de droits et de devoirs entre les êtres humains de toutes origines et de toute condition, qui en fait au moins métaphoriquement les “citoyens” d’une même cité virtuelle. Et par voie de conséquence toute politique du rapport à soi de l’humanité dans la forme d’une reconnaissance simultanée de son homogénéité et de ses différences, permettant de “mettre en commun” celles-ci au lieu d’en faire les instruments de l’inhumanité ou de l’exclusion, peut être pensée comme un renversement du renversement, une politique visant à lever l’interdit dont fait l’objet la communauté universelle qui a pour condition l’égalité. Mais ce renversement du renversement ne peut être pensé selon les mêmes modalités à différentes époques, dans différents contextes, ce qui m’amène à ma troisième raison en faveur de cette formulation.
L’époque de la mondialisation développée est, comme je l’ai soutenu ailleurs [2], celle du surgissement d’une “universalité réelle” (et non pas seulement idéale, ou imaginaire) dans le champ des relations sociales, qui prend différentes formes complémentaires: non seulement, comme l’avaient pronostiqué Marx et d’autres dès la révolution industrielle, celle d’un unique marché mondial sur lequel se concurrencent les marchandises produites par les travaux humains (et de proche en proche les travaux et les producteurs eux-mêmes), mais celle d’une unique sphère “immatérielle” de communications de masse, et aussi, de plus en plus, celle, essentiellement négative pour l’instant, d’un risque écologique commun. Or cette universalité réelle a des effets contradictoires sur la position du problème cosmopolitique: d’un côté elle lui confère une actualité et une urgence sans précédents, ce qui est d’ailleurs susceptible d’intensifier aussi bien les tendances à l’inégalité que les tendances à l’égalité; de l’autre elle produit l’illusion d’une réalisation déjà accomplie de l’idée cosmopolitique, serait-ce sous des formes “approchées”. Mais la perspective cosmopolitique ici n’existe justement que sous une forme inversée. Et l’essentiel reste à faire, dans des conditions complètement nouvelles. Elles n’autorisent plus le recours à un “droit naturel” de l’humanité, comme c’était le cas à la fois dans le cosmopolitisme antique (sur la base d’une image physique et morale du monde) et dans le cosmopolitisme de l’âge classique, dont procèdent les discours modernes de l’humanisme et de l’internationalisme (sur la base d’une idée régulatrice du progrès historique de l’humanité). Il nous faut prendre en compte aujourd’hui ce qu’on pourrait appeler la dénaturation essentielle de l’espèce humaine, ou la levée des antithèses absolues entre la “nature” et la “culture” (donc, entre autres, entre le niveau de la vie et celui de la pratique sociale) qui rend désormais abstraite et irréelle toute idée de retour à la nature, et qui place au centre la question politique de l’institution: inscirption institutionnelle du racisme, invention d’une institution “cosmopolitique” de la singularité, de la réciprocité et de la communauté humaines [3].


Race et Europe. Quel type d’analyse croyez-vous soit à développer à propos de la problématique raciale dans le contexte Européen? Une grande partie des normes nous semblent finalisées à ôter les formes de discrimination et à véhiculer des «actions positives» contre les différentes formes d’exclusion. Peut être l’Europe représente-elle un projet ambitieux de démocratie réellement inclusive, capable d’abolir les formes d’exclusion en partant de celle raciale? Ou elle se configure plutôt comme un nouveau model de démocratie exclusive?

La première question ici, c’est: de quelle “Europe” parlons-nous? D’un côté il y a une réalité institutionnelle, même fragile, hétérogène, en construction (dont rien n’assure, d’ailleurs, la pérennité). De l’autre il y a un jeu de représentations culturelles, de récits historiques pour ne pas dire de mythes, qui singularisent une “identité” européenne. Elles lui permettent d’assigner sa place dans le monde, d’une manière devenue aujourd’hui de plus en plus défensive par rapport à ce qu’elle avait été au cours des siècles précédents. Le grand débat sur l’identité européenne, en partie relancé par l’avancée ou l’élargissement de l’UE, en partie exacerbé par ses hésitations et ses ambiguïtés, oscille entre les perspectives adverses d’une Europe ouverte, multiculturelle, dont les “frontières” (par exemple la Méditerranée) sont en réalité des zones d’interpénétration des populations et de contacts de civilisation depuis des millénaires, et d’un “nouvel ordre européen” assiégé par des ennemis intérieurs et extérieurs contre lesquels il lui faudrait se cuirasser et s’armer [4]. On voit que ce qui est en jeu dans le procès de la Selbst-thematisierung, c’est de façon très générale la question de la nature de la communauté politique, aussi bien pour chaque nation européenne en particulier que pour l’Union supra-nationale elle-même. A nouveau il faut adopter ici un point de vue historique pour y voir clair et ouvrir des perspectives pratiques. C’est-à-dire qu’il faut poser en termes de déplacements et de conflits le problème du “communautarisme” européen, dont le racisme est l’une des dimensions, l’une des lignes de fuite.
S’il est vrai qu’il n’y a jamais eu d’ordre européen et d’auto-identification de l’Europe sans que soit mis en oeuvre un principe d’exclusion (d’après des critères religieux, politiques, culturels, ou découlent de rapports de domination économique), on doit dire que le racisme sous diverses formes est consubstantiel à l’Europe – et à la limite que “Europe” est proprement un nom de la race (de même que “Européen”). Dans ce que j’ai appelé ailleurs, de façon intentionnellement provocatrice, le nouvel apartheid européen qui double et contredit l’émergence de la citoyenneté européenne supra-nationale (dans la mesure où celle-ci ne se contente pas d’additionner arithmétiquement les citoyennetés nationales préexistantes, mais modifie le statut des étrangers “extra-communautaires” présents sur le sol européen en en faisant des citoyens de seconde zone et des surnuméraires), il y a à la fois une continuation de ce schème d’exclusion, en quelque sorte retourné vers son origine [5], et une très profonde mutation. Dans Les Origines du totalitarisme, Hannah Arendt avait comparé deux formes d’impérialisme historiquement présents sur le sol européen et qui avaient contribué au développement du racisme institutionnel de façon complémentaire: l’impérialisme “continental” ou “tribal” de l’Europe centrale et orientale, et l’impérialisme “colonial”, “transcontinental”, des nations maritimes de l’Ouest. On pourrait être tenté de se demander si la construction de l’Union européenne avec sa face d’exclusion, qui semble procéder de la liquidation simultanée, longtemps attendue, de ces deux héritages, en même temps qu’elle relativise la forme nation et tourne définitivement la page des empires, n’engendre pas aussi une sorte de synthèse ou de fusion de leurs caractéristiques, dont le symptome serait l’exacerbation des références “ethniques” en Europe même : entre les nations, à l’intérieur des nations (je pense à la façon dont les populismes exploitent de vieilles divisions quasi-raciales au sein des nations, comme l’opposition du Nord et du Midi en Italie), et dans la rerpésentation du monde extérieur et des flux de populations qui en proviennent.
On aboutirait alors à l’idée que, à nouveau, l’Europe doit être le siège d’une confrontation morale et politique entre un principe d’exclusion de l’humanité (par le biais de la citoyenneté) et un principe d’inclusion inséparable de l’égalité (ou de l’égale liberté). C’est ce que semble bien suggérer Habermas en parlant d’une Europe fondée sur le “patriotisme constitutionnel”, esquisse de communauté cosmopolitique, en face d’une Europe en quête d’identité substantielle [6]. Je serai pour ma part encore plus radical, car, en même temps que celle d’un apartheid européen rampant, je soutiens aussi depuis des années l’idée que l’Union européenne ne peut se construire comme communauté politique de type nouveau, et tout simplement viable, qu’à la condition de se présenter comme un ensemble plus démocratique que les anciens Etats-nations, ou si l’on veut comme un facteur de démocratisation des Etats démocratiques eux-mêmes. Il faut donc affronter ouvertement l’apartheid européen et le battre sur son propre terrain, celui de la construction “identitaire”. Et pour cela il faut à l’évidence mobiliser conjointement des forces qui sont à la fois “intérieures” et “extérieures”, des inclus et des exclus (mais cette différence traverse les “étrangers” eux-mêmes aussi bien que les “nationaux”). Autrement dit il faut faire de l’Europe multinationale, multiculturelle, “métissée”, un champ de mobilisation pour des mouvements “citoyens” en faveur d’une extension des droits de l’homme qui soient eux-mêmes des mouvements “mixtes”, fusionnant des traditions démocratiques venues de l’intérieur de l’histoire européenne avec des formes de résistance, de prise de conscience et d’auto-émancipation (empowerment) apportées par les nombreux “autres” qu’elle refoule. Ce qui laisse deviner que l’aventure européenne aujourd’hui en suspens n’est pas à l’abri de secousses peut-être très rudes.


Etats Unis d’Amérique: la race ‘compte’ encore? Depuis quelques année, vous travaillez aussi en contact avec le monde américain, et vous donné cours à l’université, à Irvine en Californie. Depuis cet observatoire vous avez trouvé des nouveaux éléments pour mieux articuler votre analyse sur le retour de la race et du racisme? En quelle mesure et comment le facteur raciale arrive encore à avoir influence dans la vie publique aux Etats Unis? Il paraît que cela soit un élément assez important dans la prochaine campagne électorale dans laquelle participera un politicien, Barack Obama, déjà défini, par plusieurs, comme le «Kennedy noir». La race ‘compte’ ou est-il possible, en quelque façon s’en passer?

Mais de quel observatoire s’agit-il? Je veux tout de suite relativiser la portée du témoignage que je peux apporter. Les campus constituent à beaucoup d’égards un lieu isolé, “hétérotopique”, au sein de la société américaine (dans un Etat comme la Californie, où j’enseigne un trimestre par an, on pourrait être tenté d’établir une analogie – néanmoins un peu artificielle – avec les “réserves” indiennes voisines, dont certaines sont d’ailleurs en train de s’enrichir fabuleusement en se servant de leur “autonomie” juridique pour développer l’industrie du jeu, non sans de vifs déchirements internes). Les universités sont incontestablement des communautés multi-nationales, en raison du nombre des enseignants et des étudiants venus de toutes les parties du monde (considérable différence avec l’Europe), mais ce ne sont pas vraiment – sauf en rêve – des communautés multiculturelles, tant est puissante la force assimilatrice du mode de vie américain. Et ce ne sont que dans une mesure limitée des communautés multiraciales: à Irvine, par exemple, près de 60% des étudiants sont d’origine asiatique, avec ou sans la nationalité américaine, mais les latino-américains sont sous-représentés (alors que le personnel de service est presque exclusivement mexicain, salvadorien, nicaragayen, etc.), et les Noirs sont quasiment introuvables Il en va de même à Berkeley (à deux pas de la “ville noire” d’Oakland, où a été inventé l’ebony, le dialecte afro-américain spécifique), un peu moins à Riverside (ce qui montre le statut ambigu des politiques de reverse discrimination).
Ces précautions prises, mon expérience de la société américaine confirme la thèse de Cornel West: la race “compte”, et elle “importe” [7]. Cette affirmation doit être située historiquement dans l’après-coup des grands mouvements “insurrectionnels” du 20ème siècle (le mouvement pour les droits civiques symbolisé par le nom de Martin Luther King, et le mouvement du “Black Power”, symbolisé par le nom de Malcolm X) et de leur relatif épuisement. Elle doit aussi être confrontée à différents diagnostics à la fois savants et partisans de relativisation ou de dissolution du facteur racial dans le fonctionnement de la société américaine, qui ont été portés dans les dernières décennies : tantôt par l’idée que la “color line” se dissémine au sein d’un spectre beaucoup plus diversifié de différences ethno-culturelles (“ethnicities”) qui ont caractérisé toute l’histoire américaine, mais qui ne seraient plus absorbées tendanciellement par le “melting pot” [8]; tantôt par l’idée que les différenciations sociales (le job, le revenu, le statut professionnel) l’emportent désormais sur les identités (et les identifications) raciales (en particulier au sein de la population noire, en partie reléguée dans les ghettos de l’underclass, en partie promue aux positions de cadres par le passage à l’université, donc radicalement clivée) [9]. Périodiquement, des événements “voyants”, comme les émeutes de Los Angeles (Watts, South Central) ou les effets dévastateurs et sélectifs de l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans, viennent rappeler en plus des enquêtes sociologiques que le ghetto existe toujours et que la color-line sépare bel et bien des destins individuels, des niveaux économiques, des modes de vie, des rapports à l’institution, des images collectives dans l’espace public. La littérature et la critique s’en font de plus en plus l’écho (pensons à l’oeuvre emblématique de Toni Morrison). Sans doute, pas plus qu’en Europe et malgré la spécificité de l’histoire nationale américaine (où la trace refoulée de l’extermination est représentée par le génocide indien et celle de la colonisation par l’esclavage, puis la ségrégation), le facteur “racial” ne peut être concrètement isolé de son rapport avec d’autres (facteur économique ou de classe, à quoi il conviendrait aussi d’ajouter le “communautarisme” religieux, et la complexité des interactions entre condition de race et condition de sexe, mise en évidence notamment par les prises de parole des femmes noires ou latino, et les travaux qui les concernent). Et cependant il est évident que, sociologiquement et symboliquement, la diversité raciale, le conflit racial, la conscience de l’identité raciale occupent une place centrale dans la culture américaine, faisant de la “neutralité” ou colorblindness un enjeu qui n’est jamais “pacifié” ou stabilisé (comme on le voit à nouveau chaque fois que la Cour Suprême infléchit dans un sens ou dans l’autre la jurisprudence de l’affirmative action contre les discriminations, en particulier dans le domaine scolaire et universitaire qui touche à la valeur “démocratique” et “civique” fondamentale de l’égalité/inégalité des chances).
C’est dans ces conditions qu’il faudrait essayer de répondre, si j’en avais la compétence, à votre question sur le sens de la candidature Obama. Je perçois simplement deux choses: cette candidature qui se situe à peu près au centre de la concurrence pour l’investitutre démocrate (entre Hillary Clinton plus à “droite” et John Edwards plus à “gauche”) constitue d’abord le révélateur du chagement considérable intervenu en deux générations. En 1961 l’élection de Kennedy, acquise de justesse, passe pour avoir été déterminée par le soutien que lui ont apporté in extremis les électeurs noirs, sur lequel comptait également son adversaire Nixon. L’idée même d’un candidat noir ou métis eût été évidemment impossible. Aujourd’hui ce soutien éventuel demeure un facteur important, même s’il ne représente que l’une des constituencies “minoritaires” qu’il faut rallier. Mais d’autre part il ne sera pas automatique du seul fait que Barack Obama est lui-même noir: non seulement parce que sa trajectoire individuelle est très peu représentative de la condition de la masse des électeurs “afro-américains”, mais parce qu’il lui faudra démontrer qu’il “représente”, non seulement certains de leurs intérêts, mais la possibilité d’une relance collective de leur mouvement d’émancipation.


Race et Critical Race Theory. À l’intérieur d’une votre récente contribution dans un forum de discussion sur loi, race et droits, à propos du dilemme qui se pose dans la nomination de la race, vous faites référence à The Miner’s Canary, un texte déjà classique de la constellation de pensée qui va désormais sous le nom de Critical race Theory (CRT). Une importante acquisition de cette courante peut être représentée avec la célèbre «métaphore du canari du mineur»: «les mineur avaient souvent avec soi un canari dans la mine. […] Ceux qui sont mis au marges par leur race sont comme le canari du mineur: leur souffrance est un premier signe d’un danger commun». Qu’en pensez vous de cette perspective de recherche, quelles sont, à votre avis, ses mérites, ma peut être aussi ses limites ou ses aspects problématiques?

Le surgissement de la Critical Race Theory est un événement théorique important. Nous devons en prendre connaissance, même avec retard (c’est pourquoi je salue la publication de l’anthologie, établie par Gianfrancesco Zanetti en collaboration avec l’un des protagonistes du mouvement, Kendall Thomas, et je formule le voeu qu’elle soit aussi publiée en France, ou qu’il y ait une publication équivalente) [10], et nous avons à discuter de façon critique ses conclusions, en tenant compte des différences de contexte (ce qui ne doit pas nous conduire à les invoquer pour disqualifier le discours de la CRT, mais au contraire à le développer, à le compliquer). Dans ce contexte spécifique il y a naturellement l’héritage lourd et complexe du passé des relations raciales constitutives de la nation américaine, auquel je viens de faire allusion, mais il y a aussi la culture juridique proprement américaine (et à la limite son juridisme), et la centralité de l’institution judiciaire dans le système politique américain, qui lui confère le rôle de “dernière instance” dans la concurrence entre les pouvoirs. C’est d’ailleurs l’une des questions les plus passionnantes que pose le développement de la CRT: ces deux phénomènes sont-ils indépendants l’un de l’autre? En entreprenant, sur les décombres du Black Power (qui ne l’oublions pas a été aussi un grand mouvement culturel), et en recueillant une partie de son héritage “identitaire” – ce qu’on pourrait appeler la conscience d’exception des Noirs –, de porter la contradiction au sein même du droit, les théoriciens de la CRT et les praticiens qu’ils inspirent (avocats, militants) dévoilent les ressorts d’une hégémonie en même temps qu’ils exposent ses failles. D’autre part ils mettent en évidence la complexité que recouvre l’idée trop simple d’un système “individualiste”. Ce qui me frappe beaucoup c’est que le principe “jurisprudentiel” du droit américain fondé sur l’autorité de l’exemple plutôt que celle de la règle (donc sur le litige permanent autour du choix et de l’interprétation des exemples, dont les plus fameux portent les noms des arrêts de la Cour Suprême: Plessy vs Ferguson, Brown vs Board of Education of Topeka, etc.) rend possible une forme spécifique de circulation du discours entre l’individuel et le collectif. Cette forme n’est pas exclusive d’actions de masse, mais elle leur donne la forme de “campagnes” collectives en faveur de certains droits individuels plutôt que d’actions de parti pour déterminer le contenu de la “volonté générale”. Elle tend donc par elle-même, toutes choses égales par ailleurs, à placer au centre de la capacité d’agir (agency) la question de “l’identité” de l’agent ou de l’acteur, selon qu’elle est vue comme homogène ou comme multiple, comme centrée “essentiellement” ou “stratégiquement” sur l’individu ou sur le groupe d’appartenance. Toutes ces questions qu’on pourrait croire métaphysiques sont en réalité tout à fait pratiques: elles n’ont cessé de traverser les débats internes de la CRT (souvent très vifs, on le sait) et confèrent un intérêt supplémentaire à son étude. Accessoirement, cela montre bien que les questions du racisme et de la lutte contre le racisme ne sont pas un simple champ d’application dérivée pour des concepts préexistants, mais forment un véritable analyseur théorique, dont la portée se ramifie dans toute la philosophie et toutes les disciplines des sciences humaines.
Je porte un intérêt particulier aux vicissitudes que les débats de la CRT ont fait subir aux problèmes de l’identité et de la politique de l’identité (identity politics). Cette notion parfois diabolisée, en particulier dans le contexte “républicain” français où elle est souvent assimilée purement au “communautarisme”, s’avère porteuse d’une dialectique remarquable. Entre le “ne me demandez donc pas qui je suis” que répétait souvent Michel Foucault et le “ne me dites pas qui je suis, car c’est à moi de le décider”, qui constitue la morale implicite de l’histoire familiale racontée par Lani Guinier dans The Miner’s Canary, passe un déplacement “performatif” essentiel, qui ne relève pas seulement de la liberté subjective, mais de la citoyenneté, ou de la liberté publique et de la résistance à l’oppression. Quelle que soit la “stratégie” adoptée par des sujets qui résistent aux identités (et donc aux stigmates) qui leur sont imposées par un système de catégorisation raciale (y compris aux fins de réforme et d’abolition des discriminations, dans le cadre du Racial State), même lorsque cette stratégie relève de “l’essentialisme stratégique” ou du “retournement perfomatif des noms de la race”, il y a toujours au fond de la résistance un élément de choix, ou de décision, qui la distingue d’une fatalité ou d’un héritage imposé. Au fond cela revient à dire que la résistance ne se contente pas de relever une identité collective qui a été abaissée, elle doit déjouer l’alternative aliénante qu’imposent aux dominés (particulièrement aux colonisés, comme l’a montré Fanon, qui s’inspirait sur ce point des analyses de Du Bois) les rapports de domination et les stigmatisations raciales: ou bien accepter l’identité “naturalisée” dans laquelle le racisme enferme ses victimes, ou bien la renier au profit d’une “universalité” fictive, qui, en pratique, coincide avec l’image de l’humanité adoptée par les dominants. C’est en quoi aussi il me semble que, pratiquement, les exposants de la CRT ont dépassé le niveau du “relativisme”, ou l’ont déplacé.
Il y a cependant un niveau encore plus profond du problème identitaire que les débats internes de la CRT ont bien mis en lumière, en affrontant courageusement son caractère conflictuel. Il tient au fait que, “stratégique” ou non, une identité peut difficilement faire l’objet d’une revendication collective sans être ramenée à l’unité, voire à l’unicité, qui semble logiquement impliquée dans la notion même d’ “identité”. Or, pas plus que les situations sociales dans lesquelles elles se trouvent, les personnalités ne sont unitaires ou unifiées en ce sens. Elles sont au contraire toujours multiples, parce que relationnelles, et dans la plupart des cas conflictuelles. Les situations de litige (ou, comme dirait Lyotard, de différend) sont particulièrement propices à la révélation de cette conflictualité intrinsèque. C’est pourquoi, dans des textes considérés aujourd’hui comme fondateurs, des théoriciennes comme Kimberlé Crenshaw ont développé à propos de la situation et du discours d’émancipation des femmes de couleur des notions comme celle d’intersection ou de surdétermination des identités [11]. Ou encore Kendall Thomas a exposé, sur le mode autobiographique, le fonctionnement de combinaisons conflictuelles d’identités “minoritaires” (comme celles d’un gay qui est en même temps un black, et peut ainsi trouver dans une communauté de résistance à l’homophobie majortairement blanche à la fois une expérience de libération et une occasion de lutte contre des stéréotypes raciaux) [12]. Ces conflits ne sont nullement secondaires, encore moins faciles à résoudre. Peut-être sont-ils en un sens insolubles. Ou plus exactement ils le demeurent si on continue de poser les problèmes d’identité et d’appartenance en termes naturalistes (ce qui, évidemment, est la logique du racisme aussi bien que du sexisme), au lieu de les contextualiser et de leur chercher une expression dialogique. Cela revient à “pratiquer la contradiction”, à dépasser l’opposition de l’universalisme et du communautarisme, à engager une déconstruction fondée sur la reconnaissance du caractère contradictoire de toute “identité communautaire”, y compris lorsqu’elle est “minoritaire” ou opprimée. Du même coup, cependant, comme l’ont reconnu certains des théoriciens de la CRT (qui ont tendance à se diviser sur ce point), la limite d’un discours purement “juridique” (ou plutôt contre-juridique) commence à apparaître, car le droit laissé à lui-même ne pratique pas la gestion immanente, contextuelle, du différend par ceux qui le portent en eux et le vivent, il tend au contraire à rechercher les formes normatives d’un arbitrage supérieur du pluralisme conflictuel. En luttant contre ce qu’ils appellent (avec certains historiens du droit constitutionnel) [13] une “citoyenneté imposée” (ascriptive citizenship), les protagonistes de la CRT mettent ainsi en évidence le résidu d’imposition qui affecte toute “citoyenneté”.


Race et victimes. Le mouvement intellectuel de la CRT, caractérisé par un déclaré effort militant et d’émancipation, pose au centre de la discussion sur la race, de façon assez originelle, la valence ‘mobilisant’ de la race consciousness: comme suggèrent, entre autres, des exposant de première importance tel Gary Peller et Kendall Thomas; sous cet aspect, elle n’est pas conçue comme «un obstacle dans la bataille pour la justice raciale», mais comme «une riche et précieuse colle avec laquelle avancer dans les luttes». Il me semble que le point de vue des victimes, que vous assumez dans un essai récemment paru sur la revue “Iride”, vous rapproche à cette perspective: est donc possible d’arriver à voir dans la notion de race, au delà d’une valence ‘diagnostique’ aussi une fonction paradoxalement «émancipatrice»? Est donc possible, en en changeant le signe, d’arriver à voir dans l’appartenance raciale une potentialité inclusive et de revendication positive?

La notion de “point de vue des victimes” est omniprésente dans le discours de la CRT: c’est à partir d’elle que ses premiers théoriciens (Neil Gotanda, Mari Matsuda) ont mis en question la “neutralité raciale fictive” de la constitution et des pratiques juridiques américaines (color-blindness). Elle a une face épistémologique, qu’on peut qualifier de “perspectivisme”, mais qui repose plus profondément sur une thèse d’immanence du conflit: il n’y a pas de “métalangage” neutre par rapport à une discrimination structurelle, aussi longtemps qu’elle dure, mais un langage ou un usage du langage qui ou bien la perpétue, ou bien la combat. Et elle a une face pragmatique, qui tourne autour de ce que vous appelez la “mutation de signe” ou la “mutation de valeur” du signe social. Cela revient à dire qu’il n’est jamais possible dans une perpective d’émancipation de dénier le point de vue des “victimes”, même lorsqu’il ne s’exprime d’abord que dans la modalité d’un symptôme, ou d’une résistance (et d’abord d’une résistance à la qualification, à l’usage dominant du langage). L’émancipation commence par un “renversement” du rapport dominant/dominé, oppresseur/victime, dans le champ du langage. On peut considérer que ceci est une loi générale, c’est d’ailleurs un point sur lequel les expériences s’échangent en permanence entre les langages “critiques” de différents movuements d’émancipation. Mais peut-être le fait que la CRT a été l’oeuvre de juristes (ou de philosophes formés dans l’élément du droit) a-t-il entraîné sur ce point une sensibilité particulière à l’ambiguïté des fonctions de l’universel, en tant qu’il se construit à partir de l’occultation de la marque dominante (le masculin, l’occidental, le bourgeois, le blanc...). Cette occultation pourrait paraître innocente, si on ne prenait conscience du fait qu’elle permet de passer continument, invisiblement, du déni de droits au déni d’existence. Etre autre, c’est n’être rien (ou se voir ramené, symboliquement ou physiquement, à rien). Les usages “critiques” de la race consciousness, les “renversements performatifs” du nom de la race, qui inversent le stigmate en proclamation du droit à l’existence, du droit à la différence visible, forment donc un moment essentiel de la transformation des rapports de pouvoir. Mais on ne saurait dire pour autant qu’ils la résument, ou l’épuisent, et on a vu en discutant schématiquement du pluralisme des identités qu’ils comportent leur propre contradiction latente.
Encore une fois, d’autant plus que nous sommes ici en pleine “performativité”, c’est le contexte qui apparaît déterminant. C’est sur ce point, on le sait, que se greffe l’une des discussions les plus intéressantes autour de la CRT, qui “oppose” Judith Butler à Mari Matsuda (et qui, significativement, implique à nouveau l’analogie entre la question de l’identité de race et celle de l’identité sexuelle) [14]. Matsuda présente la structure d’interpellation raciale (en particulier dans les insultes, le “hate speech”, mais toute interpellation raciste est virtuellement un hate speech ou discours de haine) comme un enfermement à double tour de ses victimes : infériorisation sociale, culturelle, etc., redoublée et renforcée par une stigmatisation “performative” qui vient en particulier du discours de l’Etat, et plus généralement de ce qu’Althusser aurait appelé les “appareils idéologiques”. Butler tend à présenter cette interpellation comme le lieu d’un rapport de forces et donc d’un conflit constant qui, au sein du langage lui-même, est susceptible de le remettre en question ou de le faire bouger, dans un mouvement de contre-performativité, qui suppose évidemment des conditions, en particulier le fait que la parole qui effectue le renversement s’inscrive dans un contexte collectif, énonce une revendication d’identité qui a un sens pour une multiplicité de sujets, bien qu’à chaque fois de façon singulière.


Ethnie et race. Même si aujourd’hui est difficile de soutenir l’évidence de l’existence, du nombre, de la frontière entre groupes raciales naturels, il semble que les noms de la race soient très utilisés afin de déterminer les groupes ethniques, les différences culturelles, etc.: on parle alors ‘d’européen’, ‘d’orientaux’, ‘d’arabes’, de ‘noirs’, ‘d’africains’. Existe-il alors une relevance collective, culturelle, une nouvelle relevance du principe de race, o du principe raciale sous forme de principe généalogique, de critère d’origine, de représentation de ‘mentalité’ et de ‘capacité’ collectives et héréditaires dans la vie sociale? En autres termes, est la catégorie de l’ethnie aujourd’hui qui assume les connotés de la race et à délinéer un ‘retour de la race’ en termes qui voudraient, avant tout, être ’descriptifs’?

Cette question nous fait revenir aux problèmes évoqués tout au début de la discussion, relatifs à l’histoire de l’Europe et de sa place dans la mondialisation, mais il est intéressant de le faire à partir des considérations “critiques” sur l’usage du langage que nous venons d’engager. Le “nom de la race” est une chose, c’est une fonction de la parole, du rapport social d’interlocution; les typologies ou classifications en sont une autre, plutôt situées du côté de la “réification”, mais évidemment les secondes nourrissent toujours la première. Il faudrait développer des distinctions de ce genre pour éclairer les nombreux débats de ces dernières années à propos de la transformation du “racisme biologique” ou “naturaliste” en racisme “différentialiste”, “culturel”, et en définitive à propos de la possibilité d’un “racisme sans races” ou d’un “racisme après les races”. Je crois bien en effet qu’au coeur de ce problème il y a l’insistance d’une certaine notion d’ethnie (ou de caractéristique, d’appartenance “ethnique”). Mais pour une raison bien précise qui constitue, si l’on veut, le corrélat anthropologique de la politique raciale et racialisante. J’ai parlé plus haut de la perpétuation à travers toutes les transformations du racisme d’un certain principe “généalogique”, dont l’hérédité positiviste (à mettre en relation avec l’héritage et avec la reproduction) n’était que l’une des manifestations historiques. Il faudrait sans doute, pour arriver à l’articulation de la race et de l’ethnie ou de l’ethnique (pensons aux “purifications ethniques”), compléter cette idée du principe généalogique au moyen d’une autre tout aussi importante, qui concerne le principe d’endogamie des communautés racialisantes. Il vaudrait d’ailleurs mieux parler de pseudo-endogamie, car d’une part la pratique diverge toujours considérablement par rapport à ce qu’il nous faut bien appeler ici un idéal (l’idéal de l’ethnie “pure”, se reproduisant en elle-même, sans mélange, qu’il s’agisse d’une race, d’un peuple, d’une nation, d’une communauté religieuse), et d’autre part elle coexiste généralement avec son contraire, voire même elle l’exige, en particulier sous la forme de l’appropriation des femmes étrangères par les hommes de la communauté “dominante” (ce qui montre que nous sommes une fois de plus au point de recoupement du racisme et du sexisme) [15]. Il y a là une vaste question sur laquelle, avec d’autres, je me réserve de continuer à travailler dans l’avenir.


Entretien réalisé le 29 avril 2007




[1] Cfr. É. BALIBAR, Election/Sélection, in “Cahier de l’Herne Derrida”, sous la direction de Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud, n. 83, Editions de l’Herne, Paris, 2004.
[2] É. BALIBAR, Les universels, in La crainte des masses. Politique et philosophie avant et après Marx, Editions Galilée, Paris 1997.
[3] Cfr. B. OGILVIE, Anthropologie du propre à rien, in “Le passant ordinaire”, n. 38, janvier-février 2002.
[4] É. BALIBAR, L’Europe, l’Amérique, la Guerre. Réflexions sur la médiation européenne, Editions La Découverte, Paris 2003.
[5] On se souvient du titre, emprunté à la littérature fantastique, de l’ouvrage collectif publié en 1982 par P. GILROY – J. SOLOMOS – B. FINDLAY – S. JONES, The Empire Strikes Back: Race and Racism in 70s Britain, Hutchinson, London.
[6] J. HABERMAS, Ist die Herausbildung einer europäischen Identität nötig, und ist sie möglich?, in Der gespaltene Westen, Suhrkamp, Frankfurt am Main 2004.
[7] C. WEST, Race Matters, Beacon Press, Boston 1993.
[8] Voir l’analyse de ce thème par M. OMI – H. WINANT, Racial Formation in the United States: From the 1960s to the 1980s, Routledge, London 1986.
[9] Il est intéressant de souligner que cette idée est défendue, avec des contenus et des conclusions différentes évidemment, à la fois par des théoriciens de gauche (W.J. WILSON, The Declining Significance of Race, Chicago University Press, Chicago 1978) et de droite (D. D’SOUZA, The End of Racism, Free Press, New York 1995).
[10] K. THOMAS – Gf. ZANETTI (a cura di), Legge, razza e diritti. La Critical Race Theory negli Stati Uniti, Diabasis, Reggio Emilia 2005.
[11] K. WILLIAMS CRENSHAW, Race, Reform, and Retrenchment: Transformation and Legitimation in Antidiscrimination Law, in “Harvard Law Review”, May 1988, n. 7.
[12] Act Up Oral History Project, Interview Nr. 024, May 3, 2003 (The New York Lesbian & Gay Experimental Film Festival,
http://www.actuporalhistory.org/interviews/interviews_04.html#thomas).
[13] Cfr. R.M. SMITH, Civic Ideals. Conflicting Visions of Citizenship in U.S. History, Yale University Press, New Haven London 1997.
[14] M.J. MATSUDA, Public Response to Racist Speech: Considering the Victim’s Story, in “Michigan Law Review”, vol. 87, Nr. 8 (Aug. 1989), pp. 2320-2381; J. BUTLER, Excitable Speech. A Politics of the Performative, Routledge, New York-London 1997.
[15] Cf. R. IVEKOVIC, Le sexe de la nation, Editions Leo Scheer, Paris 2003; A.L. STOLER, Carnal Knowledge and Imperial Power, Race and the Intimate in the Colonial Rule, University of California Press, Berkeley 2002; et mon propre essai à propos de l’affaire des “voiles islamiques” dans les écoles Française, considérée comme symptôme d’un conflit entre «phallocraties rivales»: «Dissonances dans la laïcité», in Mouvements (Editions La Découverte), n. 33-34 (mai 2004) (tr. angl. Dissonances within Laïcité, in Constellations, vol. 11, n. 3, 2004, Blackwell Publishers).

torna su